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On ne fait pas d’Hamlet sans casser des oeufs

Jean St-Hilaire

Notre hôte est un drôle de pistolet. Une espèce de provocateur souriant habité par une imagination baroque.

Dans le cas présent, son théâtre commence dans la rue, la Fullum, à vue de la prison Parthenais. Vingt minutes de pied de grue dans mon cas. Deux spectres imperturbables passent sur le trottoir ... On vous fait entrer par groupes de trois ou quatre, pour vous attendrir la couenne. D’autres spectres portiers nous accueillent, comme des lépreux dans un restaurant chic. Ils nous haranguent, puis nous poussent dans le château d’Elseneur vers notre minable destinée. En-dedans, la musique de Bruckner fait un boucan infernal. Acteurs et spectateurs se gênent mutuellement dans ce château sur cinq paliers, surplombé par un paradis tenu pas une passeuse d’âme court vêtue. Insolite grandguignolesque: des spectres s’évanouissent, le serviteur Osric tente en vain de fair cadeau d’une capeline de macramé à la reine, Hamlet discourt sur la drogue, on tranche à la photo instantannée un assaut de sabre serré, etc.

Mais au bout, le compte y est: neuf cadavres comme dans la vrai pièce, même intrigue: Hamlet apprend du Spectre le meurtre de son père, le roi, et le remariage de sa mère à l’assassin, Claudius, le frère du roi. Il jure de le venger et pour détourner les suspicions, il feint la folie ...

Mélange des genres

On le devine, Liitoja mélange les genres à qui mieux mieux dans son spectacle. D’abord, la tragédie y passe vite à la farce ou à la parodie. Il use d’anachronismes dans le vêtement et les accessoires, emprunte au music-hall et à la danse, cultive la cérémonie et applique une touche continuelle d’orientalisme, ce qui donne à penser que La Trilogie des Dragons est passéepar là ...

La musique, plus exactement, l‘environnement sonore, joue un rôle primordial. Les voix des acteurs restent souvent inaudibles, écrasées qu’elles sont par l’avalanche des décibels. L’idée? Sans doute illustrer l’impuissance pathétique des personnages das la tourmente de la tragédie.

Sans casser des oeufs?

On me pardonnera cette farce cliché, mais on ne fait pas d’Hamlet sans casser des oeufs et des oeufs, Hillar Liitoja en casse à profusion. Il se compromet, il doit être loué pour cela.

L’ennui, c’est qu’avec sa propension à exaspérer pas l’usage de l’ultra ralenti et les répétitions ad nauseam, il finit par nous casser un peu les pieds ...

Une question s’impose: même dédié au mythe d’Hamlet, la plus jouée des pièces de Shakespeare, un exercice de 8 h 30 a-t-il le choix d’"être ou ne pas être"? Déjà que le spectacle n’est pas facile d’obsevation avec sa profusion de scènes, multiples simultanées, de chuchotements, de chevauchements de thèmes musicaux ... Il me semble que Liitoja aurait pu déballer tout ce qu’il avait à dire et atteindre à un meilleur résultat en concluant pour minuit.

Certes, sa proposition déroge aux données usuelles du spectacle et relève en définitive du "happening" et de la performance, mais pour demander aux gens un acte de foi aussi "longuet", il ne faut pas que les faires s’interroger sur leurs habitudes de spectateurs, il faut leur donner un théâtre qui charme les sens, ce qui n’exclut pas une provocation dosée du coeur et de la raison.

Avouons-le, le spectacle se resserre, se densifie sur les ... trois dernières heures. Comme si Liitoja avait senti le besoin de se résumer. Cette veine neuve dans le traitement commence plus ou moins sur un très beau moment théâtral: Hamlet et sa mère poussent les hauts cris comme une jeune célébrante japonaise, dans une suggestion de "la scène du crâne", éviscère et met à frire une dorade, en lui parlant avec solennité, et comme Ophélie délire dans une pâtée de fruits et légumes de sa fabrication.

Originale aussi l’idée du passeport pour le paradis que chaque protagoniste doit aller quérir chez la régisseure, une fois mort. Et de la scène finale d’autocritique, depuis le paradis.

Pour conclure, une production ambitieuse et complexe qui tolérerait une peu plus d’esthétisme et réclame d’être ramenée à une durée moins éprouvante.

Le Soleil
31 mai, 1989